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A mon humble avis
10 mars 2005

Histoires d'enfants sages

Il était une fois, au siècle dernier, deux frères qui se ressemblaient beaucoup. Bruns aux yeux noirs, ils avaient un grand front  et le regard craintif. C'était des enfants intelligents et doux, élevés par une mère inquiète et un père autoritaire. L'aîné, Pierre, voulait être poète ; Paul, le cadet, aimait la musique. Cependant, leur père les força à faire des études scientifiques. Pierre devint militaire et Paul fut recruté par un ordre religieux avide de brillants esprits. Après un long célibat, Pierre se laissa marier et sa femme le rendit heureux, car elle l'aima d'un amour maternel qui lui convenait parfaitement. Quant à Paul, il devint professeur de mathématiques et consacra sa vie à enseigner, préparer des cours, corriger des devoirs et attendre les vacances.

Quand vint la retraite, Pierre fut content de quitter un métier qu'il n'avait jamais aimé et il resta tranquillement chez lui, choyé par sa femme. Il ne s'ennuya jamais, entre la lecture des journaux, les visites de ses enfants et les joies que lui donnaient ses petits enfants.

Paul, quant à lui, avait abandonné à regret l'enseignement, dont la routine le réconfortait. Ses supérieurs l'envoyèrent alors en paroisse. A l'étonnement général, il y réussit fort bien ; il enseignait le catéchisme en chansons, animait les messes du dimanche avec sa guitare et attendrissait les paroissiennes de toutes catégories par sa simplicité. On savait qu'il visitait les malades et aidait les familles en difficulté ; tout le monde l'aimait, sauf  ses confrères qui le trouvaient trop parfait.

Ainsi passèrent les années ; Pierre et Paul devinrent des vieillards et c'est alors que leurs histoires divergèrent irrémédiablement.

A l'âge de quatre-vingt-dix ans, Pierre entra à l'hôpital pour passer des examens. Il n'y fut jamais seul : sa femme l'entourait d'attentions, ses enfants et petits-enfants se relayaient auprès de lui. C'est en tenant la main de sa femme qu'il mourut, tranquille et persuadé que le paradis l'attendait, car il avait reçu les derniers sacrements. Son fils médecin expliqua la maladie qui l'avait emporté et son fils prêtre célébra son enterrement dans l'émotion générale ; son gendre notaire se chargea des tracas administratifs et tous les enfants prirent soin de leur mère avec affection.

Quelques jours après son décès, il lui naquit un arrière-petit-fils que l'on prénomma Pierre, en souvenir de lui.

Le destin de Paul fut bien différent. Devenu incapable de servir sa paroisse, il dut se retirer dans une maison de son ordre religieux et là, nul ne s'occupa plus de lui : sa famille avait pris l'habitude de recevoir ses visites sans les lui rendre, ses anciens élèves ne pensaient plus à lui ; ses paroissiens, après avoir dignement fêté son départ, s'attachèrent instantanément à son successeur. Il ne vit donc plus personne, sinon une nièce consciencieuse et quelques solliciteurs dont il se serait bien passé. Les hommes de Dieu qui peuplaient la maison se méfiaient les uns des autres et, à part la messe quotidienne, ne partageaient ni repas, ni conversations, ni promenades.  Paul se rendit-il compte, alors, qu'il était passé à côté de sa vie ? Qu'il s'était continuellement appliqué à plaire à des parents disparus depuis longtemps et n'avait pas connu d'autre attachement ? Qu'il avait vécu dans une solitude affairée jusqu'à son extrême vieillesse et que, pour finir, tous ceux qu'il avait servis l'avaient abandonné ?

Quoi qu'il en soit, il finit par mourir et son ordre sut lui organiser de fort convenables obsèques, après lesquelles il fut à jamais oublié.

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