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A mon humble avis
16 janvier 2006

Une basse-cour extraordinaire

Chapitre premier

Il était une fois

Tout au fond d’un immense parc, il était une fois une grande maison où vivaient une vieille dame et sa fille. A côté de la maison, il y avait une ferme, composée de trois bâtiments : le logement du jardinier et de la cuisinière, l’écurie qui abritait un bon gros cheval de trait, et le garage où la fille de la vieille dame rangeait sa petite voiture.

Ces bâtiments formaient les trois côtés d’un carré ; le quatrième côté était séparé du parc par une clôture en grillage et un portail couvert de lierre, que l’on n’ouvrait jamais.

Pourquoi ce portail était-il toujours fermé ? Parce que dans l’espace situé entre les bâtiments de la ferme se trouvait la basse-cour où se déroule notre histoire.

Dans cette basse-cour, le jardinier élevait des lapins, quelques poules, un coq et une famille de canards.

Et personne, sauf le cheval, ne s’était jamais douté de ce qui s’y passait.


 

Chapitre 2

Samedi dans la basse-cour

Tout commença un samedi de printemps, mauvais jour pour les animaux de la basse-cour car, chaque samedi, la vieille dame, appuyée sur sa canne,  et la cuisinière avec son panier, allaient et venaient avec importance dans la basse-cour et désignaient au jardinier un pensionnaire qui disparaissait ensuite pour ne plus jamais revenir.

Ce matin-là, dans l’anxiété générale, les lapins s’agitaient dans leurs cages dont ils ne pouvaient pas sortir – seul le vieux lapin gris, Raoul, savait s’échapper sans se faire repérer -, les poules circulaient, presque sans bruit, suivies de leurs poussins tout neufs, tandis qu’au loin le coq faisait semblant de les surveiller. Près du grillage, la mère cane se reposait, entourée de ses canetons. Et au milieu de la basse-cour, il y avait un tout petit poussin, tout seul, qui frappait le sol de son bec et qui pépiait à fendre l’âme.

- « C’est vraiment insupportable, dit le lapin gris, le bruit que peut faire cet enfant. Comme si c’était le moment ! » Et il appela la cane :

- « A toi de jouer, Simone, moi, je ne sais déjà plus où donner de la tête ».

Alors la cane s’approcha tout doucement du poussin et lui fit une proposition très inattendue.


Chapitre 3

Une étrange proposition

- « Qu’est-ce qui se passe, petit poussin ? » demanda-t-elle, très calmement.

Celui-ci ne répondit pas et continua son manège.

La cane reprit : - « Que dirais-tu d’une promenade avec moi, cet après-midi ? »

Le petit poussin ne répondit toujours pas, mais il cessa de pépier.

-« Si tu es d’accord, ajouta la cane, trouve-toi devant le portail à l’heure où le soleil est le plus haut et où tout le monde fait la sieste. Je t’emmènerai faire un voyage ».

Le petit poussin fut très surpris et il leva la tête vers la cane, toujours sans répondre. -« Mais n’oublie pas, petit poussin, continua la cane : tu dois m’apporter une becquée de vers de terre pour me payer ».

Le petit poussin était bien ennuyé. Car il avait envie de continuer à être en colère, mais il était quand même tenté par le voyage proposé. Sans plus réfléchir, il se mit à chercher des vers de terre et ne vit rien de ce qui se passa dans la basse-cour pendant la fin de la matinée.


Chapitre 4

Voyage autour de la mare

A l’heure dite, il était devant le portail avec les vers dans son bec.

- « C’est bien, dit la cane, en attrapant prestement sa rétribution et en la donnant à un caneton qui passait par là, allons maintenant ». Et elle souleva de son bec le bas du grillage et fit passer le poussin, avant de se couler elle-même hors de la basse-cour. Puis elle passa devant et le poussin la suivit sur le chemin, sans dire un mot et en admirant tout ce qu’il voyait.

Quand ils arrivèrent à la mare, la cane se retourna et lui dit :

- « Si tu veux, tous les jours à cette heure-ci, je t’emmènerai te promener. Mais n’oublie pas les vers de terre ! ».

Le petit poussin ne dit toujours rien, mais il se sentit très content car il aimait les aventures. Ils firent le tour de la mare et, en rentrant, la cane lui dit : « A demain, petit poussin ! ».


Chapitre 5

Une douce habitude

Le lendemain à la même heure, et tous les jours qui suivirent, le poussin se promena avec la cane. Maintenant, il marchait à côté d’elle et bavardait gaiement. Il lui disait tout ce qui lui passait par la tête et elle l’écoutait patiemment.

- « Je n’aime pas la vieille dame, le jardinier a dit qu’elle laissait la maison et la ferme tomber en ruines et qu’est-ce qu’on deviendra, nous, quand elle sera morte ?… La fille de la vieille dame ne saura pas s’occuper de nous, la cuisinière l’appelle « la bonne à rien »… C’est vrai que la cuisinière est méchante ? C’est le lapin gris qui l’a remarqué… Pourquoi il faut se cacher quand elle vient chez nous avec son panier ? »…

Et chaque jour, quand le soleil commençait à descendre, le poussin regagnait  la basse-cour, tout heureux de sa promenade.

Au bout de quelque temps, la cane lui demanda :- « Alors, tu as toujours envie d’être en colère, petit poussin ? »

- « Oh oui, lui répondit-il. Ma mère, la grande poule blanche, ne s’occupe jamais de moi, comme vous. Elle ne donne la becquée qu’à mes frères. Et mes frères me chassent quand je veux m’approcher d’elle ». La cane ne dit rien et le petit poussin devint tout pensif. Il ne parla plus ce jour-là.

Mais le lendemain, et tous les jours qui suivirent, il reprit son bavardage. Parfois la cane lui répondait, parfois elle se taisait. Il ne savait jamais pourquoi. Mais il n’en avait cure, il aimait se promener avec la cane et dès le matin il partait en quête de vers de terre pour elle, tout joyeux et sans penser aux mauvais jours qui approchaient.

Cependant, l’été tirait à sa fin et la cane et le poussin continuaient leurs promenades malgré la pluie et le vent.


Chapitre 6

Le rêve du poussin

Ce jour-là, le poussin faisait très attention de ne pas glisser sur les feuilles détrempées qui jonchaient le chemin et il ne parla pas jusqu’à la mare.

-« Qu’est-ce que tu as aujourd’hui, petit ? demanda la cane. Je te trouve bien silencieux ».

- « Je fais attention à ne pas tomber, c’est tout », répondit-il d’un ton grognon. Comme la cane se taisait, il ajouta : - « C’est aussi que … je voudrais vous dire quelque chose  ».

La cane ne dit toujours rien, mais elle tourna la tête vers lui d’un air encourageant.

- «  J'ai rêvé ... », commença-t-il. Puis il s’interrompit et baissa la tête, comme s’il n’osait pas continuer.

- « Vas-y, raconte », l’invita-t-elle gentiment.

- « J'ai rêvé que je marchais sur ce chemin, entre deux  canetons, mes pattes s’étaient transformées en pieds palmés comme les vôtres et je n’avais pas peur de glisser ; je crois bien que j’étais devenu caneton et que vous étiez ma maman ».

Puis il ajouta très bas : - « Je voudrais tellement que ce soit vrai ».

-« Ah bon ! » soupira la cane, comme si elle s’y était attendue.

- « Ma mère, jamais elle ne me regarde, jamais elle ne me donne de grain ni de vers, il n’y en a que pour mes frères. Je serais bien mieux avec vos canetons ».

- « Bon »,  répéta la cane, d’un air préoccupé, tandis qu’ils abordaient le tour de la mare. Le poussin trouva qu’elle marchait vite, comme si elle voulait chasser des pensées désagréables, et cela lui fit peur. Il se demanda s’il l’avait mécontentée.


Chapitre 7

Révélations

Après un silence qui dura longtemps, la cane s’arrêta brusquement, se retourna vers le poussin et lui dit :

- « Ecoute-moi bien, poussin. Je te trouve courageux car tu n’as pas eu peur de l’aventure. Et tu es sympathique et observateur. Mais je ne peux pas être ta maman et je vais te dire pour quelle raison. Est-ce que tu t’es demandé pourquoi je ne sors mes canetons que le soir et les nuits de clair de lune ? »

- « Non », reconnut le poussin, étonné.

- « C’est parce que tout le jour, pendant que tu es dans la basse-cour, je me promène autour de la mare avec les animaux que Raoul, le lapin gris, m’a confiés, ceux qui ont besoin qu’on s’occupe d’eux ».

Le petit poussin était très surpris. « Vous voulez dire … qu’il n’y a pas que moi ? Vous parlez avec d’autres poussins ? »

« Et bien d’autres animaux moins gentils », sourit la cane. « Des qui griffent, des qui mordent … »

« Quoi ? dit le poussin, ébahi. Puis, après réflexion, il demanda : «  Pas le cheval, quand même ? »

La cane se mit à rire. -  « Non, pas le cheval, quand même, lui, quand il est déprimé,  c’est Raoul qui y va, et il se déplace à l’écurie. Mais il faut que tu le saches, quand je me promène avec toi, ce n’est pas pour le plaisir : c’est mon métier et j’ai besoin des vers que tu m’apportes pour nourrir mes canetons ».

Elle se tut un instant et soupira, comme pour elle-même :- «  Parce que si j’attendais après leur père… »

- « Je ne serai jamais ta maman, conclut la cane. Et tu ne seras jamais un caneton. Mais ne sois pas triste, car j’ai quand même une belle surprise pour toi ».


Chapitre 8

Une grande surprise

- « Qu’est-ce que c’est ? » demanda le poussin d’un ton boudeur, en cachant son envie de pleurer.

- « Regarde », dit la cane, en lui montrant la mare. Comme le vent s’était calmé, le poussin vit que la mare était devenue toute lisse et qu’elle reflétait comme un miroir les arbres qui l’entouraient.

- « Approche-toi du bord, nigaud. Qu’est-ce que tu vois ? »

- « Ce n’est pas possible … On dirait, on dirait ma maman, en plus jeune ; quelle jolie poulette blanche ! ». Le poussin était fasciné.

- « Hé bien, dit la cane, qu’est-ce que tu en penses ? »

Le poussin était trop stupéfait pour penser. Au bout de quelques minutes, il regarda la cane, qui donnait des signes d’impatience.

- « Je vais être en retard, si tu n’es pas plus rapide. Viens maintenant, rentrons. Je vais tout t’expliquer ».

Et ils prirent le chemin du retour.

- « Ce n’est pas la peine, dit enfin le poussin, j’ai compris… »

- « Voilà, dit la cane, cette jolie poulette blanche… »

- « C’est moi, reconnut le poussin, incrédule, c’est vraiment moi… »

Puis il rentra dans la basse-cour, tandis que la cane, très affairée, repartait de son côté. Où pouvait-elle encore aller ? Il se le demandait bien.


Chapitre 9

Paroles du lapin gris

Il eut envie de la suivre en se cachant, car il était bien curieux de voir avec qui elle se promenait maintenant. Mais il pensa qu’elle serait fâchée si elle s’en apercevait et il ne voulait pas lui faire de peine.

Comme il restait tout préoccupé, le cou tendu vers le portail, le lapin gris vint vers lui et s’exclama :-  « Alors, jolie poulette blanche, comment te sens-tu ? ».

Le poussin se retourna pour voir à qui parlait le lapin gris.

- « C’est à toi que je m’adresse, belle jeune fille », insista le lapin. Et le poussin se rappela qu’il n’était plus un poussin, et il eut très peur.

- « Ne crains rien, dit le lapin, j’ai entendu la vieille dame parler de toi au jardinier, et il a bougé la tête de gauche à droite, puis de droite à gauche, plusieurs fois, tu sais ce que cela veut dire?  Cela signifie que tu vas rester ici et devenir l'une des reines du poulailler ».

La poulette blanche ne pouvait croire ce qu’elle entendait.

         - « Je ne me promènerai plus avec la cane, alors ? » demanda-t-elle tristement.

         - « L’hiver, toutes les promenades s’arrêtent, mais tu verras la cane dans la basse-cour et, au printemps prochain,  tu seras bien trop occupée. »

         - « Et à quoi donc ? » demanda la poulette,  qui se sentait déjà un peu mieux.

         - « Eh bien, tu auras une file de petits poussins, et tu sauras très bien les élever ». Et le lapin ajouta, avec un clin d’œil :-  «  D’ailleurs, si tu avais un problème … devine qui appeler ! »


Chapitre 10

Epilogue

         Dans la grande maison, la vieille dame et sa fille finissent le dîner que la cuisinière leur a préparé. Maintenant, elles ouvrent les fenêtres et se penchent au dehors pour fermer les volets. Le vent glacé, qui a chassé les nuages, entre en sifflant dans la salle à manger et elles referment bien vite les fenêtres.

          Si elles avaient regardé dans les allées du parc, éclairées par la lune,  elles auraient pu voir un spectacle bien surprenant.

C’est une cane au plumage beige et brun, avec quelques plumes bleu azur, qui se promène tranquillement : à côté d’elle trottine un lapin au pelage gris. Ils semblent oublier le froid et poursuivre une mystérieuse conversation. Mais de quoi parlent-ils donc ? Personne ne le saura jamais.

Mais nous, nous pouvons peut-être le deviner.

FIN

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Commentaires
C
Je crois connaître la vieille dame et sa fille et aussi la cuisinière !! J'ai lu l'histoire à mon petit poussin (ne manquent plus que les illustrations !). Bravo !
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